Pénurie de masques de protection en France : retour sur 2 mois de volte-face

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La question du port du masque est actuellement de celles qui fâchent. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les masques de protection respiratoire sont au centre des débats des politiques et des interrogations des citoyens. Retour sur une série de volte-face et de rebondissements en tout genre.

Sommaire

La position de la France avant le début de l’épidémie

L’épidémie de SRAS en 2003, celle d’H1N1 en 2009 et plus généralement, la multiplication des affections respiratoires dans un monde toujours plus globalisé, ont contribué à façonner la position de la France sur le sujet du port du masque.

En 2005, après la grosse frayeur causée par le SRAS, de nombreux instituts se penchent sur la question. Le résultat est sans appel : en cas de pandémie, il faudrait un maximum de masques FFP2, pas seulement pour protéger les professionnels de santé mais aussi pour permettre aux citoyens lambda d’aller travailler et donc d’éviter la paralysie économique. Plusieurs rapports recommandent donc des stocks massifs de ce type de masques, puis des masques chirurgicaux si on n’a pas d’autre solution.

La France se trouve confrontée au virus H1N1 en 2009, comme le reste du monde. La ministre en charge de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, procède à des commandes massives de vaccins et de matériel de protection, dont ces fameux masques, auprès des laboratoires pharmaceutiques. Finalement, l’épidémie ne tourne pas à la pandémie. De nombreuses commandes deviennent alors inutiles et sont annulées, ce qui amène les laboratoires à facturer au gouvernement français des millions d’euros de pénalités. La réponse à l’épidémie est alors jugée disproportionnée et trop coûteuse pour l’État. C’est le début d’une tentative de réduction des coûts toujours plus poussée, qui va mener le gouvernement à un positionnement énigmatique sur le port du masque en 2020.

Pour faire simple, à partir de 2011, l’État prend deux décisions très importantes. Premièrement, les stocks de matériel seront désormais partagés entre stocks stratégiques, gérés par les institutions publiques nationales, et stocks tactiques, gérés par les hôpitaux. On délègue ainsi aux établissements de santé la protection de leur personnel, alors que le public prendra en charge ce qui concerne les malades uniquement. Le rapport de l’époque glisse au passage que les masques FFP2 étant plus coûteux, plus encombrants à stocker et plus contraignants pour les personnes qui les portent, il vaudrait mieux stocker des masques chirurgicaux. Deuxièmement, la gestion des stocks nationaux passe en 2014 sur un type de contrat différent. Au lieu de faire des commandes et de stocker, on passe par des précommandes, dont une partie est une « tranche conditionnelle », une commande qui ne sera activée qu’en cas de besoin.

Quand la crise du coronavirus éclate en mars 2020, la situation est la suivante : les hôpitaux se sont équipés tant bien que mal, mais surtout en masques chirurgicaux, et les stocks nationaux sont faibles, puisque dépendants de ces fameuses précommandes, qui ne peuvent être honorées en raison d’un début de paralysie du système de production.

Masques de protection : les détails

Pour mieux comprendre cette agitation autour des masques, il convient de connaître les détails pour les 3 types de masques généralement employés :

  • les masques chirurgicaux spécialisés
  • les masques chirurgicaux classiques
  • les masques artisanaux

Tous les masques présentés ici ont en commun de couvrir impérativement le nez ET la bouche, et de devoir être changés très régulièrement.

Les masques chirurgicaux FFP2 et FFP3

Ces masques sont destinés aux professionnels de santé mais pas uniquement, puisqu’ils sont conçus pour filtrer aussi bien les agents infectieux que les particules fines issues de la pollution ou de certains types de travaux (peinture, par exemple). C’est le seul masque capable de protéger la personne qui le porte du virus car il filtre jusqu’à 94% des particules en suspension dans l’air.

Les masques chirurgicaux classiques

Ces masques sont en tissu synthétique légers. Ils sont normalement utilisés en chirurgie pour éviter que des postillons du chirurgien entrent en contact avec la personne opérée. Ils ont donc surtout pour but d’empêcher la transmission du virus en protégeant la personne en face et pas vraiment de protéger la personne qui le porte (même s’ils ont une petite capacité filtrante, qui arrêtera par exemple les gouttelettes de salive d’une personne qui tousse ou éternue sur le soignant). C’est le masque dont le port risque d’être systématisé dans les mois à venir dans de nombreuses activités. C’est ce qui explique notamment la flambée des ventes en ligne de masques chirurgicaux. Le port du masque restera néanmoins conditionné par les capacités de l’état à fournir un nombre suffisant d’unités, dans des conditions satisfaisantes.

Les masques artisanaux et en tissu

De préférence fabriqués dans un tissu suffisamment dense pour retenir les particules virales, mais suffisamment respirant, ces masques peuvent au moins vous permettre de ne pas transmettre le virus. Vous pouvez prévoir une poche dans le masque pour placer un filtre additionnel, ce qui vous évitera de devoir changer le masque lui-même toutes les 2 ou 3 heures.

La situation en France depuis le début de l’épidémie

La position des membres du gouvernement français a considérablement varié entre l’annonce du confinement, le 18 mars, et aujourd’hui. Déjà fin février, le ministre en charge de la Santé, Olivier Véran, annonçait qu’une personne asymptomatique n’avait pas à porter de masque, que ce n’était pas nécessaire. Ces premières annonces ignoraient royalement le sujet des porteurs sains, pouvant tout à fait transmettre le virus sans eux-mêmes être affectés.

Dans un premier temps, le Président lui-même, ainsi que la porte-parole du gouvernement et plusieurs ministres, appellent la population à ne pas porter de masques. Selon Mme Ndiaye, le port de masque serait même contre-productif. En réalité, les pharmacies ont été dévalisées dès les premiers jours et ces responsables politiques savent très bien que les stocks nationaux sont très faibles. Alors qu’en 2006, une audition du Directeur Général de la Santé mentionnait que « pour les seuls personnels soignants, le nombre estimé de masques nécessaires [de préférence FFP2] est de 2 millions par jour de pandémie », le stock national (qui rappelons-le n’est normalement destiné qu’aux malades, les hôpitaux gérant eux-mêmes leurs soignants) est alors de 150 millions de masques chirurgicaux et aucun masque FFP2.

En attendant de déstocker (ou plus probablement, de commander) de nouveaux masques, ils préfèrent donc que le peu qui reste aille aux professionnels de santé afin de les protéger le plus possible. Tant que la question de ces stocks n’est pas réglée, motus sur les masques.

Au bout d’un mois de confinement et alors que les médecins, infirmières et pharmaciens continuent d’alerter sur le manque de protections qui les oblige à porter leurs masque pendant plus longtemps que prévu, voire même à les réutiliser, M. Macron le déclare le 16 avril : « Je refuse aujourd’hui de recommander le port du masque pour tous et jamais le gouvernement ne l’a fait. Si nous le recommandons, ce serait incompréhensible. Les soignants en souhaitent davantage, c’est normal et c’est bien l’objectif de notre agenda de production que de répondre à cette attente. » (entretien accordé au Point).

Il y a là une certaine confusion entre les types de masques. Vous l’avez compris, un masque FFP2 sert à protéger la personne qui le porte, alors qu’un masque chirurgical sert à protéger les autres d’une potentielle transmission via des postillons. Même s’il est moins efficace, le but est identique pour le masque artisanal, souvent un simple écran de tissu. En résumé, la peur que la population se rue sur les masques destinés aux soignants, les plus efficaces (et ceux qui manque cruellement) a contraint le gouvernement à déconseiller le « port du masque » au sens large, évitant de ce fait la question des masques grand public.

Pendant que le gouvernement tergiverse au niveau national, des décisions sont prises par des responsables locaux. En Île-de-France, dans l’Hérault, en Charente, à Nice, des maires et des préfets comment à annoncer d’une part le port du masque obligatoire dans les transports en commun ou les espaces publics, et d’autre part à effectuer des distributions de masques « grand public », souvent fabriqués localement.

Conclusion et projection sur l’après confinement

La France attend aujourd’hui impatiemment l’arrivée de nouveaux stocks de masques (250 millions ont été commandés fin mars), qui manquent toujours énormément aux soignants. La protection des professionnels de santé semble rester la priorité du gouvernement.

Dans le même temps, le Premier Ministre Édouard Philippe, s’il n’a rien annoncé de manière certaine, a déclaré dans sa conférence de presse du 20 avril que le port de masques serait « sûrement obligatoire » dans les transports en commun lors du déconfinement, à partir du 11 mai. M. Véran annonçait dans le même temps le lancement d’une production française de masques « grand public » avec pour objectif 17 millions de masques prêts pour le 11 mai. Ceci étant dit, cette question va forcément de pair avec celles des tests. Puisque cette production française ne concerne pas des masques FFP2 mais des masques plus basiques, qui ne servent qu’à protéger les autres d’une éventuelle transmission, il semble évident que pour une personne testée négative, le port en sera totalement inutile.

À l’heure actuelle, et considérant le faible nombre de personnes testées, on peut toutefois penser que l’après confinement ne se fera pas sans masque, en tout cas pas tout de suite.