La « coupure d’Internet », une arme politique ruineuse en Afrique ?

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« Coupons Internet » ! Tel semble être la panacée toute trouvée par certains gouvernements africains pour juguler certaines crises d’envergure. Kinshasa, Lomé, Yaoundé, Addis-Abeba… au moins douze pays ont eu recours à la fameuse « coupure d’Internet » depuis 2015 selon le rapport publié par la Coalition pour les politiques internationales sur les technologies de la communication et de l’Internet en Afrique australe et de l’Est (CIPESA). Selon ledit rapport, ces coupures interviennent généralement avant des élections ou en période de manifestations.

Coupons-les du monde…

Pour bon nombre d’observateurs et de dirigeants africains, le réseau Internet a joué un rôle majeur dans le « Printemps arabe ». Internet a notamment permis aux manifestants de diffuser des mots d’ordre, de s’organiser, de défendre leurs droits et surtout d’internationaliser les évènements en cours.

Du coup, plusieurs dirigeants ont stigmatisé le réseau Internet, désormais perçu comme « une arme politique redoutable ». Pour certains gouvernements africains, les opposants n’hésitent pas à utiliser Internet notamment les réseaux sociaux pour diffuser de fausses propagandes déstabilisantes pour le pays. Pour préserver la paix et la stabilité nationales, il faut donc, selon ces derniers, « couper Internet » le temps d’avoir la situation sous contrôle ; il y va de la sécurité du pays !

« Kinshasa a été l’un des premiers gouvernements à mettre en place ces pratiques », selon la Cipesa. En Éthiopie, 36 jours d’interruption administrative du web ordonnée depuis 2015 ! À Lomé, le réseau Internet a été interrompu alors que l’opposition multipliait des manifestations depuis des semaines contre le régime en place.

Tout porte finalement à croire que les dirigeants adeptes du “coupons Internet” ont bien raison. En effet, Internet, en dépit du nombre hilarant de fausses informations qu’on y découvre, reste bien souvent le seul canal impartial à la disposition des opposants de plusieurs pays africains ; la plupart des médias locaux traditionnels étant bâillonnés ou corrompus. De nombreux journalistes internationaux n’ont parfois les vraies informations relatives à certains pays que via Internet. Comprenez donc la frénésie du “coupons Internet” ! Maintenant, on peut fouler aux pieds les “fameux droits de l’homme” et pouvoir enfin “réprimer” ces manifestants ! Maintenant, on peut mettre en parenthèse cette “embêtante démocratie” et “bourrer” les urnes ! Maintenant, on peut modifier cette “maudite constitution” qui prétend que nous n’avons plus de droit de nous représenter ! Et le plus enivrant, c’est qu’on peut le faire, cette fois-ci, à l’abri des regards de cette “enquiquinante communauté internationale” qui n’a pour seule vertu que de foutre son nez là où on l’attend le moins ! Ici, Internet est coupé, circulez, vous n’avez rien à y voir ! Après la sale besogne, nous nous reverrons… Sale besogne, dites-vous ? Bien sûr, car rien de bon ne se fait à l’abri des regards.

Quel qu’en soit le prix !

Internet a été coupé pour le temps souhaité. Les manifestants ont été matraqués, les opposants jetés en prison, le fauteuil présidentiel est sauvegardé, la constitution a été modifiée enfin, les urnes ont été bourrées et l’éternel président est vainqueur, et après !

Les résultats de l’enquête de la Cipesa sur les conséquences économiques des coupures Internet décidées par les gouvernements africains estiment que les coupures d’Internet ont déjà coûté 46 millions de dollars à la RDC, 132,1 millions de dollars à l’Éthiopie, 38,8 millions de dollars au Cameroun. Au Togo, chaque journée de black-out est évaluée à 243 507 de dollars par les experts de Cipesa.

Le caprice du “coupons Internet” se révèle donc ruineux pour les pays qui s’y adonnent. Et pourtant, la pauvreté galope… Qu’à cela ne tienne, pour se maintenir au pouvoir, aucun prix n’est trop élevé pour un autocrate !

Ce n’est que quand il est obligé d’escalader les murs de son palais pour se réfugier dans une ambassade ou prendre le chemin de l’exil qu’il comprend que la messe est enfin dite. Pour le moment, “coupons Internet” !